Club de lecteurs du 17 octobre 2009

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L’avantage du club de lecteurs de Romainville, c’est son autonomie, son côté « énergie renouvelable », sa capacité à fonctionner tout seul - et avec quelle passion ! Le temps d’aller chercher quelques biscuits ou autres fantaisies, il avait déjà démarré sur les chapeaux de roues, sous la houlette de trois femmes importantes de Romainville et des environs, et de quelques hommes non moins riches d’enthousiasme pour le partage des lectures.

 

Ceci explique donc les quelques lignes manquantes de ce début de compte-rendu...

 

(...)

 

Dominique a apporté un opuscule inconnu à la bibliothèque : Eloge de rien, un texte anonyme du 17e siècle, paru chez Allia. Il tente d’élever la dérision au rang de principe. En fait c’est un certain Louis Coquelet,auteur aussi de Eloge de rien dédié à personne, et autres textes presque surréalistes avant l’heure, qui en est l’auteur. Un petit livre plein de citations poétiques.

 

Michel a lu et aimé Mais le fleuve tuera l’homme blanc de Patrick Besson. Une histoire de Françafrique, d’espionnage, de corruption, de superstition et de pétrole, un roman qui nous en apprend sur l’Afrique actuelle. Nous en reparlerons, Ali Bongo oblige.

 

De fil en aiguille, on en vient à parler d’Herta Müller qui vient d’obtenir the prix Nobel. On entendait, et même au club des lecteurs, des rumeurs qui l’aurait bien vu attribué à Philip Roth ou à Amos Oz, et c’est une femme quasi inconnue en France, germanophone née en Roumanie, qui a quitté ce pays à l’époque où la Securitate lui a demandé de bien vouloir collaborer. C’est peut-être aussi ça, le rôle des prix, de faire connaître quelqu’un qui le mérite. Toujours est-il qu’en France, le jour de l’attribution, il n’y avait aucun roman disponible d’H.M., et que seulement trois titres avaient été traduits et publiés, mais indisponibles. Comme on peut l’imaginer, Gallimard s’est dépêché de rééditer en folio L’homme est un grand faisan sur terre, un roman qui semble proche de l’autobiographie. En tout cas, nous pouvons nous targuer d’avoir à la bibliothèque (oui oui, la bibliothèque Romain Rolland, 61 avenue de Verdun) deux des trois titres parus en France ; ouf, l’honneur est sauf !

 

Dominique et Edith ont toutes deux lu Missak, de Didier Daeninckx. Il raconte l’enquête d’un journaliste de l’Huma sur le parcours de Missak Manouchian. Parallèlement, le film L’armée du crime de Robert Guédiguian, retrace l’histoire de « l’affiche rouge » dont faisait partie Missak Manouchian. Le cinéaste est venu le présenter au cinéma Le Méliès de Montreuil. Il faut décidément aussi le rapprocher de Le tombeau de Tommy d’Alain Blottière, qui raconte l’histoire de Thomas Elek, un lycéen juif de 17 ans qui figurait aussi sur l’affiche rouge aux côtés de Manouchian.

 

Jean-Baptiste a lu Zone de Mathias Enard. Un gros livre sans ponctuation, ce qui lui donne un souffle singulier et provoque la furieuse envie de ne plus le lâcher. « On est emporté », selon Edith ; idéalement, il faudrait le lire d’une traite. Le narrateur, au cours d’un voyage en train, se remémore son passé trouble, dans les rangs des milices croates dans les années 90 puis dans les services de renseignements français – la zone étant le pourtour méditerranéen dans ce qu’il a de plus dramatique, passionnel et violent. Jean-Baptiste nous rappelle que le livre fait référence à La modification de Michel Butor pour le voyage en train et que le titre est emprunté à Jean Rolin qui a accepté de le partager avec M.E. On admire qu’un auteur aussi jeune ait pu réaliser un travail documentaire aussi fouillé pour ce roman, basé sur de nombreux témoignages. Pour Michel, c’est un auteur très intelligent, qui a un véritable talent pour décrire, dans des flashs, des scènes incompréhensibles de sauvagerie, reliant également selon Dominique l’antiquité à l’actualité. Et pour conclure, c’est « un très grand bouquin », d’après Michel.

 

Autre genre, peut-être plus léger : Dix petits nègres d’Agatha Cristie. Plusieurs personnes l’ont lu ici, il y a parfois fort longtemps, et se souviennent d’une sorte de mécanique de haute précision, où rien n’est laissé au hasard. Sur « l’île du Nègre », les victimes tombent les unes après les autres, et tous les personnages sont susceptibles d’être l’assassin. De la bonne horlogerie, quoi. Selon Dominique, le procédé d’A. C. c’est que l’assassin est toujours celui qu’on soupçonne le moins, et quand on sait cela, on devine tout de suite qui est le coupable dans n’importe quel de ses livres...

 

Aline a été fortement marquée, semble-t-il, par la lecture de La barque silencieuse de Pascal Quignard. Ce n’est pas un roman, mais un recueil, une sorte d’essai philosophique dans lequel apparaît l’obsession de Quignard pour la mort, et par extension, pour la vie. La barque silencieuse, c’est celle qui glisse vers les ténèbres, comme chez les Egyptiens. Il y a des chapitres entiers sur la solitude, un autre sur la liberté. Aline n’a jamais lu de choses aussi belles, pour elle « c’est un vrai chef d’œuvre ». C’est le dernier livre de la série Le dernier royaume qui commence avec un autre très beau livre : Les ombres errantes. PS : c’est promis, à l’ouverture de la médiathèque on trouvera tous les volumes de ce cycle méditatif.

 

Le coup de cœur de la saison de Dominique et d’Edith, c’est Le cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates de Mary Ann Shaffer. Voilà un roman épistolaire qui se lit très facilement. Ca se passe à Londres et Guernesey, à la fin de la guerre. C’est un témoignage intéressant sur l’occupation allemande à Guernesey, où les gens étaient affamés, et même l’occupant (un peu moins peut-être, quand même…). Cela raconte la création d’un… club de lecteurs, prétexte à détournement de nourriture, où pour manger on doit d’abord lire. « Savoureux », d’après Dominique.

 

C’est Paris qui est le sujet du livre que Jean a lu. Ecrit par Philippe Delerm, Paris l’instant est un recueil de photographies de Martine Delerm. Si « le texte est magnifique », Jean a trouvé les photos moins originales, mais le mari met bien en valeur le travail de son épouse... Jean a aimé se plonger dedans car ça lui a rappelé des souvenirs manifestement heureux de promenades parisiennes : les bouquinistes des quais… la rue de Rivoli… les chaises métalliques du jardin des Tuileries… les restos grecs près de Notre-Dame… les vitrines du Palais Royal… ah…

Michel s’est régalé avec La première gorgée de bière, suivi de La sieste assassinée, le livre qui a révélé P. Delerm. Rappelons qu’il s’agit d’une série de description de petites choses qui font les petits plaisirs de la vie. Il y a par exemple la description d’un jardin où rien ne se passe, qui a enchanté Michel. Pour Jean, l’auteur a un grand pouvoir évocateur, et pour Dominique, c’est le « minimaliste optimiste ». Dans le même genre, Michel a aimé un recueil de nouvelles de Paul Fournel : Courbatures, « un régal ». C’est une suite de nouvelles, des flashs, notamment une scène de mariage mémorable...

Du même auteur, Michel a lu le dernier livre, très sympa, une esquisse d’histoire d’amour entre un vieux célibataire et sa voisine.

 

Michel qui s’intéresse de très près au conte a aussi lu une nouvelle traduction des contes de Grimm, publiée chez José Corti. L’ancienne traduction d’Armel Guern est plus chaleureuse, mais celle-là est intéressante.

A ce moment-là (ou à peu près) a eu lieu une petite discussion sur les éditions José Corti, éditeur de Julien Gracq, de Ghérasim Luca et tant d’autres, dont la librairie se trouve près du jardin du Luxembourg. Tony nous raconte une de ces petites anecdotes vécues dont il a le secret. Un jour, faisant un tour à la librairie, il discute avec J. Corti, et évoque malencontreusement ses rares achats de livres à la Fnac, et là, grosse colère de l’éditeur qui lui reproche d’aller donner de l’argent à l’ennemi ! Ce qu’on aime aussi, c’est qu’il faut s’armer d’un coupe-papier, bien souvent pour pouvoir lire un José Corti ou aussi un Fata Morgana, deux rares éditeurs à proposer encore ce petit plaisir aux lecteurs. N’est-ce pas Jean-Baptiste…

 

Sonya est partagée sur le livre de Brice Mathieussent : Vengeance du traducteur. Connu comme traducteur prolifique, notamment de l’œuvre de Jim Harrison, B.M. s’est amusé à imaginer un roman sur un traducteur : « je suis sous le couvercle, et j’essaie de le soulever ». Du coup, la forme visuelle de la mise en pages est assez surprenante, car dans la première partie, il n’écrit qu’en bas de page. Il parle de la frustration du traducteur qui s’amuse à enlever des adjectifs et autres farces vis-à-vis de l’auteur, à s’immiscer dans le texte original. La deuxième partie a déçue Sonya. B. Mathieussent tente d’y inventer une histoire, mais elle n’a pas du tout accroché et a abandonné.

 

Déçue aussi, Elisabeth, par deux livres La quatrième main, de John Irving, un auteur qu’elle a apprécié jusque là, et Battements d’ailes de Milena Agus. Elle a aussi acheté dans sa petite librairie de quartier (ce qui aurait plu à José Corti) La fonction du balai, de Wallace, un livre (à 26 euros, aïe !) qui semble lui plaire (ouf).

 

Tony nous a lu un poème de Patrick Maury tiré de son recueil Petites métanies du temps. Comment résister à l’envie de le reproduire ici :

 

Si je dois désherber la douleur des jours,

que ce soit avec des mains patientes.

Comme on prendrait un petit enfant

sur ses genoux pour lui dire

que celle qu’il attend ne reviendra plus –

qu’elle est partie rejoindre Tobie,

le chien de l’an passé.

Alors, il nous faudrait tenir

devant le regard grave soudain bondé de larmes,

prendre le temps de sourire

puis, comme un roi réconcilié,

ouvrir ses bras en couronne

et bercer, bercer éternellement.

 

L’auteur, rappelons-le, avait été invité à la bibliothèque par Bruno Grégoire et avait fait des lectures très émouvantes de ses poèmes.

 

Et puis, débat sur le dernier roman de Frédéric Beigbeder, Un roman français. Dominique et Edith l’ont lu ; pour Dominique ce n’est pas le dernier avatar du gosse de riche que l’on connaît par d’autres de ses livres, non, celui-là est touchant, très émouvant même. Et énervant aussi, en ceci que l’auteur étale avec un naturel confondant son mode de vie genre jeunesse dorée et argent facile. Cela reste un livre différent des précédents dans l’œuvre de Beigbeder.

 

Allez, conclusion, la parole est à Dominique, Dominique pour une sacrée émotion de lecture : L’énigme du retour, de Dany Laferrière. Où il s’agit du très mélancolique retour en Haïti, pour les funérailles de son père, d’un écrivain haïtien vivant à Montréal. Pays des extrêmes pour sa beauté et sa pauvreté. Envoûtante introspection qui emprunte parfois des formes poétiques, ce roman a bouleversé Dominique, dont nous savons qu’elle ne galvaude pas le mot. C’est de la beauté…

 

 

Sur ce, on signe, comme promis. Euh, qui signe, au fait ? Merci d’entourer la bonne réponse :

 

Catherine             Jean-Baptiste            le fantôme de la bibliothèque

 

 

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