Club de lecteurs du 13 février 2010

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Sonya a lu Trois femmes puissantes de Marie N’Diaye. Bien écrit, trouve t’elle, mais il y a des longueurs, en particulier dans la troisième histoire. Rappelons qu’il s’agit de trois histoires de femmes africaines en France, histoires qui n’ont pas le même poids. Pourquoi « puissantes » ? Parce qu’elles ont une force intérieure qui leur permet de tenir malgré une vie difficile. C’est aussi la puissance du nom qu’elles portent, être soi. L’auteur a une prédilection pour certains mots fétiches, qui reviennent obsessionnellement, tant dans ses livres que dans sa façon de parler, sic ceux qui l’ont entendue sur France Culture. On pense que le prix Goncourt lui a été attribué plus pour son œuvre en général que pour ce roman, qui est moins puissant que Rosie Carpe, par exemple, qui avait en son temps marqué les esprits.

 

Adrienne a voulu lire, sur les conseils de Dominique : Histoire de la grande maison de Charif Majdalani. Alors que celle-ci était enthousiaste, Adrienne est restée sur sa faim. Elle a trouvé l’histoire belle (un conte, pour Dominique, porteur de la mémoire d’une famille qui n’existe plus) mais le style peu clair. En fait, ça ne lui a plu qu’à partir de la moitié du livre…

 

En revanche, Adrienne est enchantée par une découverte, celle de la collection des Dictionnaires amoureux. Après Patrick qui avait lu précédemment le tout récent Dictionnaire amoureux du ciel et des étoiles de Trinh Xuan Thuan, elle a lu le plus ancien (2001) Dictionnaire amoureux de la Grèce de Jacques Laccarière.

Promeneur amoureux de la Grèce et de la Crète, Lacarrière (décédé en 2005), est aussi l’auteur de L’été grec,  « magnifique » témoignage d’amour (selon Aline) pour la Grèce et ses habitants, vivement recommandé par Tony et Dominique, entre autres. Piégée par le Dictionnaire amoureux de la Grèce, Adrienne a navigué dedans comme sur Internet, passant d’un article à l’autre, grâce aux renvois de l’auteur, et a pris grand plaisir à se promener de la dictée d’Edgar Quinet à Protagoras, de la Grèce ancienne à la moderne.

NB : pour visiter les Météores, extraordinaires monastères orthodoxes perchés dans les montagnes grecques, on est prié de porter une sorte de burqa cachant sa féminité, car celle-ci n’est pas tolérée en ces lieux… (même les animaux se doivent d’être mâles) – soit dit en passant !

 

Carson McCullers, épisode 3 : Tony l’a lu à son tour, en anglais (Le cœur est un chasseur solitaire = The heart is a lonely hunter). Autour de Mr Singer, le pivot sourd-muet du roman, gravitent quelques personnages qui se confient à lui tel un psy qui ne parlerait pas. Il y a Mick, la petite fille plus ou moins narratrice, Jake Blunt l’alcoolique un peu fou, révolutionnaire, le cafetier rêveur et insomniaque, le Dr Copeland, médecin noir qui se meurt pour sauver son peuple de l’humiliation et de la misère, le gros grec sourd-muet simplet ami de Singer… Un roman magnifique qui va au-delà de la description du sud des USA, qui touche au fond de l’âme humaine.

 

Tout cela évoque à Jean-Baptiste sa récente lecture de la trilogie de William Faulkner : Les Snopes. Trois romans donc : Le hameau, La ville, le domaine, une sorte de saga. Tout se passe dans le même coin du sud des Etats-Unis, aussi. Il y a un fourmillement de personnages, une famille de métayers blancs pauvres : les Snopes, qui s’installent et lobbyisent petit à petit les places qui rapportent. Le fils devient le personnage principal, très malin. Pour Jean-Baptiste, ce livre fait penser à Dostoïevski, il y a une profondeur, l’intelligence des personnages, qui touche à quelque chose d’universel, alors que ce ne sont que de pauvres paysans des profondeurs boueuses de l’Amérique…

A lire aussi de Faulkner : Absalon, Absalon et Le bruit et la fureur, deux des chefs d’œuvre de Faulkner.

 

Aline est en train de lire La convocation de Herta Müller, récent Prix Nobel, dont on a déjà parlé. Elle trouve que l’angoisse que l’héroïne ressent, sur le trajet qui la mène à ce rendez-vous à la Securitate est très bien décrite (cf comptes-rendus précédents).

 

Edith a lu avec beaucoup d’intérêt La malédiction d’Edgar de Marc Dugain (celui-là qui a mis en scène son propre livre au cinéma : Une exécution ordinaire). Il s’agit d’un roman qui en fait n’en a que la dénomination, ce qui permet à son auteur de se dédouaner des attaques juridiques ou historiques. Edith a en effet eu l’impression de lire un documentaire très instructif sur Edgar Hoover, chef du FBI pendant 48 ans. Homosexuel refoulé, personnage psychorigide, anti-communiste extrême (à l’époque de maccarthysme), il avait évidemment une faille, et pas des moindres. Comment a t’il fait pour tenir aussi longtemps à la tête du FBI ? Il « tenait » tout le monde, pour avoir mis des micros partout, pour avoir fliqué tout le monde. « Si vous me jetez, je balance tout ! », en quelque sorte ! Ce serait la clé. Les noms véritables sont cités, la collusion des grands de ce monde avec la mafia, etc. C’est extrêmement intéressant.

Une exécution ordinaire raconte l’histoire de Staline (tient, tient, encore un tendre !) qui engage une femme magnétiseuse pour le soigner. Mais comme c’est en contradiction avec le matérialisme qu’il prône, il la terrorise pour qu’elle ne parle pas.

 

Sur ce, une petite conversation sur le thème : nos grands hommes écrivent aussi. Patrick demande à Tony :

- « Toi qui est anglais, que penses-tu du livre de Giscard sur Lady Di ? »

- « Je m’en fous royalement ».

C’est le cas de le dire !

Epargnons à ceux qui n’étaient pas là les avis peu amènes sur cet ouvrage, qui paraît-il a eu peu de succès…

 

Autres lieux, autre livre, Haïti. Elisabeth, après d’autres, a lu Yanvalou pour Charlie de Lyonel Trouillot. Très dur. La pauvreté, ou comment s’en sortir. On a assez vite un sentiment de dégoût pour ce personnage cynique, un arriviste qui renie ses pauvres origines, devient avocat, mais redevient lui-même quand le soir il se retrouve seul, chantant des airs de son village au son de sa guitare. Vient un ado en cavale, Charlie, et voila que tombe le masque. Trouillot campe son personnage pendant la moitié du livre, puis on change de ton, et Charlie se révèle comme le double du « héros ».

 

A propos d’Haïti, Jean-Baptiste recommande fortement Gouverneurs de la rosée de Jacques Roumain (1907-1944). Selon lui, un des plus beaux romans d’amour qu’il ait jamais lu, et qu’il se plaît à recommander aux lecteurs qui cherchent ce genre de roman.

(Fondateur du parti communiste haïtien, il fut contraint à l’exil, étudia en Europe, revint au pays, fréquenta les surréalistes.)

 

Patrick s’est intéressé à la deuxième DB, à travers un vieux livre qu’il a chez lui, et qui en retrace l’épopée. Petit rappel : il s’agit de la deuxième division blindée du maréchal Leclerc de Hauteclocque qui a libéré la France et Paris en 1944. Venue d’Afrique, elle est d’abord passée par la Normandie et est allée jusqu’à Berchstesgaden dans le sud est de l’Allemagne.

 

Quant à Dominique, elle a été choquée par le « plagiat » qu’a fait Yannick Haenel dans Jan Karski, reprenant pour ainsi dire les écrits du héros dans au moins un tiers du livre. La polémique entre l’auteur et Jacques Lanzmann, c’est encore autre chose. (Pour les autres avis, se référer aux comptes-rendus précédents.)

 

Par contre Dominique a aimé Les filles d’Allah de l’auteur turc Nedim Gürsel. C’est très très beau, magnifiquement écrit, une sorte de conte. Il ne faut pas se fier au titre, car on se demande où sont les femmes, quasi absentes du livre. Il y a une grande interrogation sur la foi. Ce livre lui a valu un procès et bannissement de la Turquie.

 

Elle a lu aussi Un américain bien tranquille de Graham Greene. Datant des années 50, ce roman se passe pendant la guerre d’Indochine, et parle des soldats américains, dans une situation comparable à celle des soldats actuellement en Irak ou en Afghanistan. C’est la description de deux personnages, un qui est obligé de s’engager, l’autre, plein de certitudes, qui est dans l’humanitaire et se trouve confronté à sa propre vérité. Ça se lit facilement, il y a beaucoup de dialogues ; rappelons que Graham Greene était journaliste.

 

Enfin, dans la catégorie « les livres qu’on peut ne pas lire » : Alice Munro : Du côté de Castle Rock. Alors que Dominique avait adoré Fugitives, un recueil de nouvelles dont les héroïnes essaient d’échapper à une vie décevante, celui-là, qui raconte des souvenirs de famille, a un style très lourd, à l’américaine…

 

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