Club des lecteurs du 8 novembre 2008 : séance spéciale "Le livre qui m'a le plus marqué"

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Sans doute l’une des séances les plus riches !

 

Sonya : Roger Martin du Gard, Les Thibault

Sans hésitation. C’est une découverte de jeunesse, qu’elle a lu et relu plusieurs fois. Donc, les 5 volumes des Thibault retracent l’histoire d’une famille bourgeoise de Paris, avant, pendant et après la première guerre mondiale. Plus particulièrement on suit l’évolution du fils cadet, et ce qui est formidable chez Roger Martin du Gard c’est sa capacité à nous faire entrer dans le personnage, on est à sa place, avec ses secrets, ses réflexions, les choses qu’il met tant de temps à dire. « On partage le cheminement intérieur du personnage ». Ce n’est pas vraiment la fresque d’une société à une époque, mais bien celle d’une famille. Livre marquant, parce que l’énorme plaisir de le lire se reproduit au fil des relectures.

 

Tony : quelques vers d’Andrew Marvell

Eh bien non, ce ne sera pas Julien Gracq, mais ces deux vers, cette bribe d’un poème ancien qui lui restent dans la tête et qui lui reviennent si souvent. Et pourquoi ces deux vers lui ont fait un tel effet, depuis que Tony a reçu, pour son baccalauréat, cette anthologie de poètes anglais d’une école du XVIIème siècle, The Metaphysical Poets ? Voici les vers, extraits d’un poème qui commence par parler d’une relation charnelle avant d’en venir à la finitude de la vie :

 

But at my back I alwaies hear

Times winged Charriot hurrying near :

And yonder all before us lye

Desarts of vast Eternity.

 

Que l’on pourrait traduire, littéralement, par :

 

Mais dans mon dos j’entends toujours

Le char ailé du temps qui approche si vite

Et loin là-bas devant nous se trouvent

Des déserts de vaste éternité.

 

Jean : Honoré de Balzac, La peau de chagrin

Un roman qu’il a lu très jeune, en cachette, dans la solitude de la nuit, sous les volutes d’un drap… Jean a toujours aimé les romans de Balzac. Celui-là est une sorte de conte philosophique, où le protagoniste, Raphaël, plein de désirs et d’appétits, se voit proposer une peau en guise de talisman. A cette condition que la peau se rétrécisse chaque fois qu’un de ses vœux se réalise… Et le temps passe, et les vœux se réalisent, et la peau… Formidable comme Balzac y aborde grand nombre de thèmes, comme le jeu, le pouvoir, le suicide, le matérialisme.

Et puis, comme on est dans des souvenirs de lectures si forts qu’ils s’entremêlent à d’autres souvenirs, comment ne pas évoquer cette époque où Jean allait à la Comédie française, où l’on jouait Ruy Blas, et plus tard, pendant la guerre, en hiver, du temps des topinambours, du pâté de poisson et du café aux glands, quand il faisait la queue avec les étudiants devant le théâtre, qu’il savait la belle salle si confortable, si bien chauffée qui l’attendait à l’intérieur…

 

Edith : Louis Aragon, Le monde réel

Bien sûr, elle a hésité, parlerait-elle de Robert Merle, de Roman Polanski ? Mais c’est un retour à ses toutes premières émotions de lectrice qu’elle nous propose, avec Louis Aragon et ses vastes romans – Aurélien, Les cloches de Bâle, Les beaux quartiers, Les communistes… Ces histoires longues, profondes, réfléchies, qui tiennent en haleine, où foisonnent des personnages qui rejaillissent d’un roman à l’autre, sont une formidable peinture du caractère humain, qui n’est jamais parfait. Mention particulière aux magnifiques descriptions des relations amoureuses. Ah,  ce fut un grand emballement d’adolescence pour Edith, qui regrette maintenant de n’avoir pas écrit à Aragon (du coup, plus tard, elle a osé écrire une lettre à un écrivain, et c’était Alexandre Troquet, pour son roman historique Les trois noces d’Anastasia).

Et puisqu’on parle d’Aragon, Adrienne nous en déclame quelques vers…

 

Elisabeth : Malcolm Lowry, Au-dessous du volcan

Pas facile de choisir, le principe de devoir élire un roman l’a gênée : il y en a eu tant, des lectures bouleversantes. Alors, pour Elisabeth, ç’aurait pu être Faulkner, eh bien c’est Au-dessous du volcan, lu pendant les inquiétudes métaphysiques de ses 17 ans. Un livre très marquant. Le récit est bâti sur la déchéance d’un homme, consul britannique dans une petite ville mexicaine. On y célèbre le jour des morts, le consul est ivre, ivre, ivre, il hallucine, ses hallucinations sont-elles réelles, le climat est si chaud, tellement moite… et sa femme qui débarque d’Angleterre pour tenter, de l’éloigner de ses spectres inquiétants, de le faire rebondir hors des flots d’alcool, mais si vainement, comme s’il était une logique noire qui happait les personnages, une roue dans laquelle ils sont pris.

Et pour bien souligner combien une lecture marquante peut offrir de continuité dans un parcours de lecture, Elisabeth rappelle que William T. Vollmann, auteur d’une œuvre qu’elle découvre avec émerveillement ces temps-ci, est un grand admirateur de Malcolm Lowry.

 

Patrick : René Barjavel, Le voyageur imprudent

Une lecture faite à 18 ans, et qui reste le meilleur souvenir de Patrick quant aux livres de Barjavel. Celui-ci met en oeuvre une machine à remonter le temps, grâce à laquelle le lecteur découvre des époques dont les contrastes entre elles sont saisissants. Et puis cette drôle de machine conduit le héros à affronter d’insolubles paradoxes, notamment lorsqu’il part à la recherche de l’un de ses ancêtres sur un champ de bataille napoléonien... Lui est-il possible, suivant ses désirs, de modifier le cours de l’histoire, au risque de paradoxes impossibles qui pourraient bien l’anéantir lui-même ? Voilà un roman fort autour de questions qui fascinent Patrick.

 

Janine : Albert Camus, L’étranger

« Entre la mère et la justice, je choisis la mer », en tous cas un classique dont l’édition circule de mains en mains dans la famille…

 

Marie-Paule : Agustín Gómez-Arcos, Ana non

C’auraient plus être Les fleurs du mal, mais vraiment c’est ce roman inoubliable qui s’est imposé d’emblée, sans hésitation. Parce que c’est un livre magnifique, avec une histoire magnifique : une femme pauvre et aimante, dans l’Andalousie des années 30, voit son mari et deux de ses fils mourir pendant la guerre civile. Et le dernier de ses fils, lui, communiste, est déporté dans le Nord de l’Espagne. Puis, le temps… La voilà bien âgée, quand elle décide d’entreprendre de partir, à pied, sans argent, à la recherche de son fils, emportant un pain aux amandes comme il les aimait tant dans sa jeunesse. Alors commence un voyage initiatique, fait de rencontres et d’amour… Un livre unique, à l’écriture très belle.

 

Michel : William Golding, Sa majesté des mouches

Un grand souvenir, une grande lecture, un grand livre, et un grand pessimisme dans tout ça. Des enfants sont livrés à eux-mêmes sur une île déserte, il leur faut survivre, et ça se passe plutôt très mal. Ah, vous croyiez encore à « l’innocence de l’enfance »… Comme chez Lowry, une histoire de dégringolade… Dégringolade encore avec La perle de Steinbeck, avec La maison des autres de Clavel, autres lectures marquantes pour Michel.

 

Dominique : Milan Kundera, L’insoutenable légèreté de l’être

Ah ! en choisir un ! « un », l’horreur ! Alors, des listes, des listes… Cent ans de solitude ? L’enfant ? Les noces barbares ? Eh bien, ce sera L’insoutenable légèreté de l’être. Parce qu’il y a avant et après ce livre. Prague, l’amour, la politique… et pour le personnage principal, l’engagement, l’impossibilité de l’engagement, l’énorme poids de ce choix… Et l’écriture bouleversante de Kundera… « Je ne savais pas qu’on pouvait écrire comme ça. »

 

Adrienne : Daniel Defoe, Robinson Crusoe

C’était bien Adrienne qui avait lancé la question, vous vous souvenez ? Eh bien voilà qu’elle a peur de nous décevoir. Et en guise de déception, nous avons eu l’évocation splendide et vibrante d’un souvenir ancien qui illumine encore ses yeux.

Disons d’abord que quand même il y avait eu une hésitation : parlerait-elle du dictionnaire – des voyages fous qu’on fait dans le dictionnaire – parlerait-elle du génial Pessoa dont les poèmes, comme « La terrible nuit de l’insomnie », lui « ont appris la sagesse » ?

Et puis, Robinson Crusoe. A neuf ans, un prix en classe, on reçoit un petit livre, couverture rouge… Elle vient à peine d’apprendre à lire, les chiffres romains elle ne les connaît pas encore, il n’y a pas de dictionnaire à la maison, et la langue française c’est au-dehors qu’on l’apprend. Et voilà, Defoe, le jeune homme qui désobéit à son père, le bateau, la mer, terrible et grondante, le cannibalisme, l’île, Vendredi, les merveilles du sens de l’adaptation… Tous ces mots, bâbord, tribord,  dont le sens échappe… Et voilà, Defoe, l’émerveillement, l’ouverture, les grands récits d’explorateurs, Marco Polo, les romans de Jules Verne…

 

Jean-Baptiste : Zéno Bianu, Le battement du monde

Oh, pas un gros livre ; mais quelle lumière, quelle ouverture dans la vie et vers la vie… Puisque c’est moi qui rédige le compte-rendu, et que je ne sais plus ce que j’ai bien pu tenter d’en dire, et qu’il y est question d’une « toujours première fois », et qu’ici lire c’est d’abord le cheminement d’une expérience et le possible d’un « réenchantement du monde », je crois que l’essentiel était d’en avoir lu quelques passages…

 

Catherine

Aha, bibliothécaire ou pas, la question n’était pas facile. Et peut-être que la réponse pouvait bien aussi être : « Ce qui m’intéresse, c’est toutes les formes que la littérature peut prendre, ce que cela ouvre. » Peut-être que oui, il y aurait bien Vendredi ou la vie sauvage, Michel Tournier, du côté de l’adolescence, ou bien, les années venant, Les armoires vides d’Annie Ernaux, ou encore Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez, pour ne rien dire, bien sûr, des Vies minuscules de Pierre Michon… Mais peut-être que tout cela c’est la littérature, et pas « un livre » qui change la vie.

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